Je franchis les portes d'un pas léger, le soleil illuminait toute la campagne environnante. L'herbe crissait sous mes pas. De couleur de miel, elle n'avait pas beaucoup poussée depuis la bataille du gouffre, l'été n'aidant pas beaucoup.
Au bout d'une heure de marche, je dépassais les avancées rocheuses, qui fermaient le gouffre et le rendaient si apte à être défendu, les ennemis ne pouvant pas arriver des côtés.
Sur ma gauche, je vis des champs à profusion mais dans un piteux état, les paysans essayant tant bien que mal de ramasser ce qui subsistait.
On pourrait croire qu'une tornade était passée par là.
Les paysans me regardaient arriver, avec dans l'oeil une lueur qui pourrait dire tout haut, pourquoi nous , pourquoi tant de haine s'abat sur nous ?
Me détournant, je vis au loin une tache sombre, de la fumée s'élevant de cet endroit. Je pensais que c'était donc le petit village que j'avais remarqué sur une carte trouvée au gouffre. Il semblait proche, très proche, la chaleur faisant l'effet d'une loupe, je savais que c'était trompeur.
Maudite rouille, si seulement j'avais un canasson ou quelque chose qui me ferais avancer plus vite en me fatiguant moins....
Il était vrai que je n'avais pas de monture, et que le fait d'approcher un cheval ou un poney me filait des boutons mais me faisant vieux, j'avais de plus en plus de mal de faire de longue promenade. Je gardais cette idée dans un coin de ma tête.
Je pris donc la direction de ce village. La route était sillonée de paysans ramenant quelques brins de blé ou de maïs, c'était tout ce qu'il restait de ces champs ravagés par une force inconnue.
Arrivant au village, je pris la direction de l'auberge. Quand je fus dans ce bâtiment appelé "Au Blé D'or", je vins m'asseoir au comptoir. La salle était presque vide. Le patron, un grand blond, aux mains et tablier crasseux, me regarda d'un air supris mais triste.
Bienvenu maître nain dans mon échoppe, hélas, délabrée et abandonnée par les clients. Que puis-je vous servir ?
Servez moi une bonne bière fraîche si possible,il me tendit une chope que je pris, je poursuivis, dites moi, que c'est-il passé aux alentours pour que les champs soient dans un état pareil ? Les habitants semblent furieux...
Oh vous n'avez pas entendu parler de cette tornade de chair et d'os ?
Faisant non de la tête, la chope aux lèvres, le patron pris un air consterné.
Vous venez du gouffre non ? Ils ne sont donc pas au courant.
De quoi s'agit-il je pourrais peut-être aller les prévenir ?
Dans cette région, nous avons nommé Némésis une terrible tempête qui , hélas, nous frappe chaque année et ravage nos plantations. Cette créature fait autant de dégat que cette tempête, nous lui avons donc donné comme nom La Némésis d'ivoire.
Pourquoi d'ivoire ? Ce n'est tout de même pas un mumakil ?
Vous n'y êtes pas, il s'agit d'un sanglier géant des plaines. Ils sont très rares dans nos régions. Les guerres ont du le chasser de ses terres et il vient ici se nourrir de nos cultures.
Un sanglier géant dites-vous, il est possible de l'abattre, non ?
Nous avons perdu deux de nos miliciens qui ont tenté de le chasser.
Nous ne pouvons risquer d'autres vies inutilement, il nous faut ramasser ce qui est intact avant l'hiver, ou cela sera catastrophique.
Je m'y connais un peu en chasse, je pourrais peut-être vous aider...
Le patron allait répondre quand un homme entra en trombe et cria que le sanglier pillait d'autres cultures.
Que quelques hommes viennent me rejoindre avec des pelles à l'entrée du village, nous allons creuser une fosse !
Aidé par dix hommes, je creusais une fosse d'un mètre et demi de profondeur, long comme un homme et large comme un nain.
Mettez des pieux au fond, et recouvrez de branches et de feuilles. Ensuite essayez de l'attirer vers le trou. Le piège fera le reste.
Un homme parti sur un cheval avec sur la croupe du destrier, un beau fagot de différentes céréales.
Je me mis en fac du trou et de la sortie du village de sorte que quand le sanglier viendra et me verra le provoquer, il foncera tête baissée dans le piège. Cette ruse était imparable.
Au bout d'une dizaine de minutes, j'entendis le bruit des sabots d'une course poursuite. Quand le cavalier arriva en vue, je pris des brins de maïs et les agitais, pour attirer l'attention du monstre qui le suivait. Il était énorme, un peu plus d'un mètre de haut, un mètre cinquante de la queue au garrot, et plus de cinquante centimètre de large. Sa vitesse était considérable, il ne lâchait pas le cheval qui le précédait.
Me voyant braillant et gesticulant, il entra dans une colère rouge, et me fonça dessus. Mais au dernier moment, il vira et contourna le piège. Le choc fus tant terrible pour lui que pour moi. Une de ces défenses se prit dans mon armure, et il m'emporta loin des cris et des maisons des fermiers. Par l'effet des vibrations la pointe d'ivoire se désengagea de l'amure et je roulais sur deux mètre de sol irrégulier et caillouteux.
L'expérience et l'instinct me firent me relever immédiatement. Le sanglier venait de faire demi-tour et galopait droit dans ma direction.
Je pris solidement mon marteau de guerre de mes deux mains et attendit le dernier moment pour esquiver sur la gauche. Avec l'élan du sanglier et ma dextérité je pus porter un terrible coup à la patte droite de la bête, qui s'effondra dans un nuage de poussière. J'étais entrain de souffler et de me féliciter de mon agilité quand je reçu un choc entre les homoplates qui me coupa la respiration et me propulsa à un mètre, face contre terre. Le sanglier s'était relevé et redoublait de fureur. Je compris que le combat serait long. Je tentais d'utiliser la même technique pour lui briser l'autre patte, mais Némésis d'ivoire était intelligent en plus d'être fort et rapide. Un de ses sabots ricocha sur mon casque quand il esquiva mon attaque. La secousse m'assomma à moitié. Me retournant, je levais mon arme et l'abattis de toutes mes forces sur le crâne de l'animal. Mais je savais que cela ne l'avait pas tué, je pris ma hache et avançais vers mon adversaire pour l'achever. J'étais au niveau de son coup quand mon regard croisa le sien.
Tu t'es bien battu mon ami, mais ton règne s'arrête ici.
Je levai ma hache, mais au moment de frapper une phrase me revint à l'esprit, une phrase familière émise quelques heures auparavant :
Maudite rouille, si seulement j'avais un canasson ou quelque chose qui me ferais avancer plus vite en me fatiguant moins....
Les yeux dans les yeux de l'être à mes pieds, je vis une lueur de pitié et de tristesse. J'allais abattre ma hache mais mon coup ne partit pas, mes bras ne me répondant plus.
Que m'arrive-t-il, voilà que j'ai de la pitié pour une féroce bête.
Je savais très bien au fond de moi pourquoi je n'avais pas achevé Némésis, on se ressemblait plus que je ne voulais l'accepter.
Je posais ma hache à coté de moi et tendis à Némésis une brassée de céréale. D'abord surpris, je vis son regard s'adoucir, il mangea les végétaux pendant que je bandais ses pattes. Un lien qui ne se romprait pas de sitôt, venait d'être créé entre lui et moi. Il avait une dette envers moi, et moi j'avais besoin de lui, la symbiose parfaite.
Plusieurs jours passèrent, et je continuais à soigner Némésis. Les paysans avaient retrouvé le sourire quand ils avaient appris que le sanglier ne mangerait plus leurs cultures. Ils furent surpris que je leur achète des sacs de grains. Payant une petite fortune, ils ne posèrent plus de questions, les affaires tournaient beaucoup mieux pour eux.
Un jour, revenant à la petite grotte où couchait Némésis, je découvris sa couchette vide, mon coeur failli s'arrêter. Je reçu une bourrade un peu brusque de mon ami, il marchait superbement. L'idée de le chevaucher me revint à l'esprit. Je lui caressais la tête puis passais sur le coté. M'accrochant à sa crinière, je montais rapidement sur son dos. Surpris Némésis, fis quelques ruades puis s'immobilisa. Tournant la tête, il comprit comment il pourrait payer sa dette. D'une pression des genoux, il avança. Avec mon genou gauche je fis une légère pression sur son flanc gauche, il tourna à gauche. Je fis la même chose pour la droite. Pour le récompenser, je lui tendis une poignée de grains qu'il accepta avec enthousiasme. Rangeant mes armes dans mon dos, je mis sur mon épaule le sac de grain et pris la direction du village chevauchant Némésis. Chevaucher à nue n'était pas l'idéal, des douleurs reprirent au niveau de mes blessures du combat.
L'arrivée au village fut riche en émotion. Les villageois étaient fascinés par ma monture. Je m'arrêtais chez le maréchal ferrant, pour qu'il m'installe une selle, une de poney fit l'affaire. Il mit des fers adaptés aux sabots de Némésis. Je pris la direction du gouffre au petit trot. Dans une grande ligne droite je tentais de passer au galop, Némésis put le faire mais qu'un court instant, je le fis ralentir afin de ne pas le blesser, il n'était pas au mieux de sa forme.
Quand je fus en vue des portes du gouffre, les murs étaient remplis de monde qui voulais voir le drôle de cavalier et son étrange monture.
Le garde me demanda mon nom. Je lui répondis et le garde sursauta.
Sir nain, nous étions inquiet de votre départ, vous aviez annoncé au seigneur Aldor que vous partiez faire une petite promenade, il y a déjà trois jours de cela. Entrez, entrez, quelqu'un va vous aider à soigner votre
créat... monture.
Je lui fis un grand sourire, et entrais dans la citée-forteresse.